Session 18 - 01/06/2018

15/06/2018 18:07

Le groupe démarra la voiture pour suivre le camion du Blue Pyramid dans lequel était monté une vingtaine de personnes. Prenant la direction du Nord-est, celui-ci s'éloigna encore davantage du centre de Londres. En s'enfonçant dans la campagne, les routes devinrent de plus en plus étroites et les maisons se firent rares. Pour rester discrets, ils éteignirent les phares de l'automobile, progressant en s'aidant la lumière de la pleine lune et des phares du camion au loin. Ils traversèrent les paysages désolés à l'atmosphère sec et glacial du comté de l'Essex, où quelques hameaux aux noms sinitres étaient battus par des vents froids en provenance de la mer. Le camion finit par s'arrêter devant ce qu'ils devinèrent au loin être un vieux portail. Cette entrée donnait sur un pont métallique permettant de traverser un cour d'eau marécageux, juste avant que celui-ci ne rejoigne la mer, que les investigateurs devinaient au bruit des vagues se fracassant sur les falaises plus loin. Devant le portail se tenait une personne qui salua d'un geste de la main, puis le portail s'ouvrit pour laisser passer le camion vers la petite ile qui se trouvait au delà. Les groupe fit marche arrière et alla dissimuler la voiture de location dans une petite vallée à proximité pour qu'elle ne se soit pas repérée, puis ils revinrent se poster à proximité du portail pour réfléchir à une stratégie d'approche. Alors qu'ils désespéraient de trouver une solution, leurs yeux s'habituèrent à l'obscurité, et l'un d'eux finit par distinguer une petite barque laissée au milieu des roseaux sur la berge. Ils s'empressèrent de monter à bord, et ramèrent à travers la brume, s'efforçant de faire abstraction de la forte odeur de vase environnante. Alors qu'ils contournaient l'ile par la gauche, ils ne distingèrent d'abord rien à part des chênes dégarnis qui leur bloquaient la vue, puis ils finirent par apercevoir la tour d'un batiment qui dépassait de la forêt. Ils débarquèrent et tirèrent leur embarcation jusque dans des fourrées à proximité. Moïra prit soin de marquer les arbres alors qu'ils s'enfonçaient dans la forêt en direction de la tour, afin qu'ils puissent facilement retrouver l'emplacement de la barque.

Au delà de l'orée du bois se dressait une large bâtisse, datant du 17ème siècle à un juger par le style, chargée de pignons et de tourelles. Le manoir semblait s'être enfoncé dans le sol avec les années, et le vent marin avait significativement érodé la façade, ce qui lui donnait une forme et des lignes étranges et sinistres. En se déplaçant à couvert des arbres, ils comprirent que batiment était à flanc d'une colline roquailleuse du côté arrière droit. La maison tout entière semblait plongée dans le noir, pas une pièce ne semblait éclairée. Seules deux torches étaient allumée devant l''entrée à l'avant du bâtiment. Non loin de celle-ci, ils ne distingèrent pas un mais cinq camions garés. Ils s'approchèrent en silence pour constater que tous ceux-ci étaient vides. Les véhicules ne portaient aucun signe distinctif et pas de plaque d'immatriculation. Tous étaient visiblement équipés de banc à l'arrière. Au fond de l'un deux, Moïra vit que quelqu'un avait gravé une petite croix ansée inversée...

Ils firent ensuite le tour du batiment en passant par l'arrière. Etant donné que personne n'était en vue, ils se collèrent contre le mur et jettèrent un coup d'oeil à travers les différentes fenêtres. Ils découvrirent une cuisine, une bibliothèque, une salle à manger et un salon. Toutes les pièces étaient poussièreuses et sales, comme si elles n'avaient pas été utilisées depuis fort longtemps. Ils forcèrent facilement une petite fenêtre du salon et pénétrèrent à l'intérieur. La pièce arborait une décoration kitsch évoquant l'Egypte antique. Le professeur Finch constata rapidement qu'aucun objet ne présentait de véritable valeur. En explorant, Moïra s'aperçut qu'une brique de la cheminée était différente des autres : elle était certaine que celle-ci devait renfermer un mécanisme, mais elle jugea plus prudent de s'abstenir de l'activer pour le moment. Le groupe voulait d'abord explorer l'étage. L'absence de lumière leur suggérait que personne ne s'y activait, et ils espéraient y trouver des informations sur ce lieu. L'exploration de l'étage fut rapide : il était constitué exclusivement de chambres et de salles de bain, ou de pièces vides. Dans les armoires de certaines chambres, les investigateurs trouvèrent de longue toge blanche assorties de chapelet au bout desquels était accrochée non pas une croix chrétienne classique mais une croix ansée inversée. Ils décidèrent de les revétir pour tenter de faire illusion au cas où ils croiseraient quelqu'un, la capuche du vêtement en question leur permettant de dissimuler partiellement leur visage.

Ils redescendirent au rez-de-chaussée, qui semblait toujours désert. Ils passèrent par la bibliothèque où Edward fit un constat similaire à celui s'appliquant à la décoration du salon : on trouvait beaucoup de livres sur l'Egypte antique, mais il ne s'agissait que d'ouvrages simplistes ayant pour but de divertir de lecteur ou donner quelques explications à des touristes. C'était la bibliothèque d'un amateur, pas d'un spécialiste. Dans la cuisine, ils trouvèrent un escalier descendant vers le sous-sol. Jake descendit prudemment, mais en bas il ne trouva qu'une simple cave, vide. La seule option qui leur restait était l'interrupteur de la cheminée. En revenant dans le salon, Fanta souleva les tapis et inspecta le sol. Elle supposa que l'interrupteur allait ouvrir une trappe dissimuler. Son intuition se confirmait lorsqu'il lui sembla sentir un léger filet d'air au niveau des lattes du plancher. Et quand Jake appuya sur la brique spéciale, un passage s'ouvrit en effet sur un étroit escalier qui descendait.

Atteignant le bas de l'escalier, ils frémirent en constatant que celui-ci débouchait sur un sous-sol sombre renfermant des cellules. Ils passèrent d'abord devant des cellules vides, avant d'entendre un gémissement venant d'un couloir sur leur leur gauche. Ils constatèrent que les cinq cellules de celui-ci étaient occupées, et dans la première cellule à gauche, Edward et Jake reconnurent avec stupeur Mickey Mahony du Scoop. Il était recroquevillé dans un coin de sa cellule, vêtu d'un costume déchiré et sali. Edward ôta sa capuche pour que Mahoney puisse l'identifier, puis s'adressa à lui. Le journaliste le supplia de le sortir d'ici, car il ne voulait pas finir comme les autres prisonniers qu'on avait emmené pour être sacrifiés. Edward lui parla pour le calmer, pendant que Jake s'affairait sur la serrure de la cellule. De son côté, Fanta insistait pour qu'ils se dépêchent d'explorer ce qui se trouvait derrière une porte qui se situait au bout du couloir principal. Mais ils n'eurent pas le temps de se décider : à peine Mahony était-il sorti de sa cellule qu'ils entendirent des bruits de pas en provenance des escaliers. Convaincus par Jake, ils mirent rapidement en formation pour encadrer Mahony, et avancèrent vers l'escalier en espérant que leur déguisement ferait illusion. Ils tombèrent nez à nez avec un vieil homme et deux vieilles femmes à la peau basanée et vêtus de toges blanches comme eux. Ceux-ci ne semblaient pas vouloir les laisser passer et se mirent à les interroger en arabe. Alors que les trois étrangers leur hurlaient dessus, Fanta et Edward faisaient des efforts pour essayer de se remémorer leurs bases d'arabe. Fanta finit par réussir à formuler simplement : "On nous a dit d'amener ce prisonnier, on suit les ordres". Une nouvelle question fusa immédiatement, sur un ton agressif. Edward comprit que cela voulait dire : "Qui vous a demandé ça ?". Il voulut répondre "le Pharaon Noir*, mais il était incapable de le traduire en arabe, alors il risqua une autre réponse : "Gavigan". Aussitôt, les trois personnes semblèrent se calmer, comme si l'explication les satisfaisait. Ils semblèrent si bien convaincus qu'ils attrapèrent eux-mêmes Mahony et se mirent à le tirer en direction du rez-de-chaussée. Le rédacteur en chef du Scoop se mit à se débattre, hurler et supplier de plus belle, mais les trois inconnus continuaient à le trainer sur le sol sans manifester aucune pitié, les investigateurs leur emboitant, hésitant à intervenir... mais alors que déjà ils atteignaient l'extérieur, ils constatèrent que pas moins d'une dizaine de personnes en toges blanches les attendaient là. Ils n'eurent pas d'autre choix que de se fondre dans la masse et de suivre les adeptes qui prirent la direction de la colline, non sans appréhension.

Cette dernière s'avéra justifié. Arrivés en haut, un spectacle terrifiant les attendant. Le sommet de la colline était en réalité un cratère. Au centre de celui-ci se dressait un monolithe noir couvert d'inscriptions, et tout autour de lui, près de deux cent personnes en toges blanches se mouvaient au son de tambours et de flûtes, qui rappelèrent instantanément à Fanta celles de la vision que lui avait procuré le masque. Sur la crête du cratère, en face, se distinguaient deux personnes en toges noirs. L'une d'elles était Edward Gavigan, l'autre était le conducteur du camion qu'ils avaient suivi depuis Blue Pyramid. Chacun tenait dans la main un sceptre évoquant ceux des pharaons. Neuf prisonniers étaient attachés au monolithe, et les investigateurs virent les trois cultistes tirer Mahony dans cette direction...

A la vue de cette scène, un sentiment d'impuissance et d'échec envahit les investigateurs : il fallait l'admettre, il n'y avait rien qu'ils puissent faire contre cette masse de fanatiques... Edward en particulier, trouvait le spectacle insoutenable. Quelque part, c'était lui qui avait mêlé Mahony à cette histoire, Mahony qui l'avait cru et qui avait fait son travail en enquêtant au point d'être repéré par le Pharaon Noir... Il savait qu'il ne pouvait plus rien faire pour sauver le journaliste, et il était envahi par la culpabilité à l'idée de l'avoir envoyé tout droit à la mort. Jonah Kensington, le journaliste du New York Pillar, les inspecteurs Pool et Barrington, et maintenant Mahony... autant d'hommes qui les avaient aidés et qui en avaient payé le prix... Le professeur ne pouvait pas supporter l'idée de rester pour voir Mahony mourir et assister au rituel sordide qui, il le devinait, était sur le point de se jouer. Il avait trouvé sur cette colline la confirmation qu'il était venu chercher : celle que Gavigan lui-même était à la tête de la secte du Pharaon Noir... Que lui restait-il à voir ici si ce n'était davantage d'horreur ? En silence, il se détourna, et repartit vers le manoir. Il croisa le regard de Fanta, qui affichait une expression mêlant l'incompréhension et la colère. Elle ne pouvait comprendre la décision d'Edward. Comment pouvait-il abandonner ses amis dans un moment pareil ? Comment pouvait-il renoncer à comprendre ce que cachait les adeptes du Pharaon Noir...?

Sans hésiter, Edward retourna au sous-sol au niveau des cachots. Peut-être pouvait-il réussir à redonner un sens à cette quête en sauvant les vies des prisonniers restants. Muni d'un tisonnier récupéré près de la cheminée, il essaya de forcer une des portes en vain. Il tenta de s'adresser aux détenus, mais tous semblaient amorphes et aucune réaction ne vint. Démuni, dépourvu des compétences de crochetage de Jake, il dut se résoudre à abandonner sa tentative... Il décida de remonter pour essayer de retrouver ses amis. A peine avait-il posé le pied dans le salon qu'il vit Moïra se précipiter dans le salon hors d'haleine, les yeux vides. Alors qu'elle le bousculait dans sa course, Edward la retint par le bras et essaya de la questionner et la rassurer, mais Moïra ne lui répondit pas et le tira vers l'extérieur, obsédée par une seule chose : "Fuir, quitter cette endroit, vite". Edward l'entraina vers l'orée de la forêt, pour se mettre à couvert derrière les arbres et attendre que Fanta et Jake les rejoignent. Il s'inquiétait pour eux, car Moïra était incapable de lui confirmer qu'il ne leur était rien arrivé...

Fort heureusement, au bout d'un temps qui lui parut infini, Fanta et Jake les rejoignirent, visiblement ébranlés par ce qu'ils avaient vus, mais moins sous le choc que Moïra. Sans plus attendre, le groupe reprit le chemin de la barque. Moïra reprenait ses esprits, mais elle demeurait incapable de parler. Une fois installés sur leur embarcation de fortune, Edward questionna Fanta et Jake : qu'est-ce qui avait pu choquer à ce point Moïra, qui n'avait rien d'une femme fragile et avait assisté à plus d'une atrocité depuis le début de leur aventure...?

Fanta en voulait encore à Edward, elle n'avait pas l'intention de lui répondre. Ce fut Jake, et plus tard Moïra, qui racontèrent à Edward ce qui s'était passé.

La scène avait commencé ainsi : un gourdin, serti de pics, avaient circulé entre les mains des cultistes, qui assénaient tour à tour un coup violent sur les membres des sacrifiés. Cette ritournelle sanglante s'était poursuivi pendant plus d'une heure, puis soudain, une bourrasque était venu du monolithe, si intense qu'elle avait soufflé les arbres à proximité. Une odeur nauséabonde, un sang opaque s'était répandu autour de la pierre, avant que les prisonniers ne s'effrondrent, poussant des cris atroces. Alors des geysers d’un sang noir avaient surgi du monolithe, accompagnées par des tentacules qui, dans une violence se mêlant à la cruauté, avaient déchiqueté en tous sens les corps des victimes, Mahony compris. De ce mélange de mucus et de sang s'était alors dressée une créature massive. Celle-ci s'était dirigée vers une femme de l'assistance, pour s'unir à elle dans une danse macabre. La chose avaient ensuite fait battre ses tentacules, tuant nombres d’adorateurs autour d’elle, avant de rétrécir et de reculer vers le monolithe.

C'est au cours de ce passage que Moïra avait fuit, horrifiée. Fanta et Jake, étaient restés sur place, et avaient pu constaté que les adorateurs n'avaient rien perdu de leur entrain après la disparition de la créature. Stupéfaits et terrifiés, ils avaient alors assisté à l'apparition d'une autre créature cauchemardesque, immense, un dragon noir aux crocs luisants surgissant dans la lumière de la lune. En atterrissant, il avait écrasé sur son passage de nombreux cultistes, sans pour autant que cela provoque la panique parmi eux. Au contraire, ils avaient redoublé d'ardeur pour tenter de grimper sur le monstre, qui en avaient blessé quelques uns, dévoré beaucoup. Finalement, l'un des fanatiques avait fini par réussir à chevaucher le dragon, qui s'était envolé avec elle dans les cieux...

Alors que Jake décrivait le dragon, Moïra sembla soudain se réveiller. Elle venait d'avoir une révélation : elle avait déjà vu ce dragon, en vision ou... en vrai ? Elle en était certaine, c'était lui qu'elle avait vu sur les quais de Limehouse lors de son invocation infructueuse, et lorsqu'elle avait été possédée et projetée dans le monde des lézards...

Jake poursuivit son récit en précisant que, pendant que le dragon perpétrait son massacre, il avait profité de l’agitation pour contourner la scène afin de s'approcher au plus près de Gavigan, immobile et fasciné. Mais conscient que le moindre de ses gestes risquait de le faire repérer, Mackalister avait finalement décidé de rebrousser chemin, et lui et Fanta s'étaient enfuis...

Alors que l'aube pointaient et qu'ils regagnaient leur véhicule, les investigateurs, la mine défaite, gardaient le silence. Plus que jamais, ils se sentaient coupables et impuissants... Qu'allaient-ils pouvoir faire contre ces forces obscures qui dépassaient l'entendement ?