Session 16 - 10/05/2018

Après leur expédition nocturne jusqu'au Vent d'Ivoire et l'entrepot Punji Chabout, Moïra, Fanta, Jake et Edward se concertèrent sur la prochaine étape de leur enquête autour d'un petit déjeuner. Juste avant de s'installer, ils avaient profité de leur passage devant un téléphone public pour appeler les bureaux du Scoop et demander à parler à Mahony, mais d'après sa secrétaire, ce dernier était en déplacement pour plusieurs jours et n'avait pas donné sa date exacte de retour. Alors qu'ils dégustaient des muffins et haricots fumants, ils prirent la décision d'explorer la piste du peintre Miles Shipley. Le fait que Jackson Ellias se soit intéressé à cet homme suggérait en effet que son style macabre pouvait avoir une origine douteuse. Ils se rendirent donc dans Soho, jusqu'à la ruelle Holbein Mews. Le quartier, morne et désert, était composé de vieux pavillons résidentiels décrépits en brique rouge, souvent abandonnés. Ils constatèrent qu'au numéro 6 se trouvait une maison en mauvais état et relativement sale. Un portail donnait sur un petit jardinet précédant la porte d'entrée. En en faisant le tour, ils réalisèrent que l'arrière de la maison comportait une autre porte, accessible par une ruelle située de l'autre côté. Les investigateurs se résolurent à se séparer en deux groupes, chacun dans une maison abandonnée voisine, pour surveiller l'avant et l'arrière de la maison, et observer le comportement de son occupant tout en restant dissimulés. Ils quittèrent le coin le temps d'aller faire quelques provisions de nourriture, car ils avaient décidé de monter la garde pendant quatre jours. Ils convinrent de prendre des précautions pour rester discret, et de dormir chacun leur tour pour ne rater aucune heure du jour et de la nuit.

C'est ainsi qu'ils démarrèrent leur surveillance du domicile de Miles Shipley. Il ne se passa pas grand chose pendant le reste de la journée du 18 février, Holbein Mews était effectivement une rue avec fort peu de passage. Arrivé vers 18h, des lumières s'allumèrent chez Miles Shipley, puis s'éteignirent vers minuit, sans que quoique ce soit de particulier ne se passe. La journée du 19 s'écoula également sans que rien de particulier ne survienne, et la nuit s'annonçait également sans intérêt jusqu'aux environs d'1h du matin. Fanta, postée à l'avant, aperçut alors un homme sortant de la maison, qui semblait correspondre à la photo qu'ils avaient vu de Miles Shipley. Dans l'entrebaillement de la porte d'entrée, il lui sembla également apercevoir la silhouette d'une vieille femme. Une fois la porte refermée, Shipley se couvrit la tête avec la capuche de son vêtement, puis il s'éloigna. Fanta envoya alors comme convenu un signal lumineux à l'aide d'une lampe torche à Jake, qui était également de garde, puis se dépêcha de sortir. Ils se retrouvèrent dans la ruelle, et prirent Miles en filature. Celui-ci prit la direction d'un quartier de Soho beaucoup plus animé. Fanta et Jake le virent s'arrêter devant la première prostituée qu'il rencontra sur son chemin. Le peintre échangea quelques mots à voix basse avec elle en lui glissant de l'argent dans la main. La jeune lui prit le bras, et ils entamèrent le chemin en sens inverse. Arrivé chez lui, Miles emprunta cette fois la porte située à l'arrière de la maison. Les lumières s'allumèrent brièvement, puis s'éteignirent. Fanta et Jake allèrent rapidement prévenir leurs coéquipiers, et ils se regroupèrent dans une maison abandonnée. Rapidement, ils décidèrent d'envoyer Jake en éclaireur. Celui-ci s'approcha à pas de loup de la maison de Shipley, puis il tendit l'oreille, tapis dans l'ombre. Au bout de quelques minutes, il finit par percevoir les murmures d'une conversation entre deux voix, un jeune homme et une vieille femme, par une fenêtre légèrement entrouverte au rez-de-chaussée. Il ne distinguait pas les propos échangés, par contre, il identifia clairement des gémissements féminins en fond, probablement les cris étouffés de la prostituée baillonnée.

Rapidement, Jake retourna vers ses trois amis, et ensemble ils élaborèrent un plan. La crainte du groupe était le suivante : si Miles Shipley s'avérait être l'initiateur des meurtres en série de Londres, alors il devait attendre du monde, puisque les autopsies retranscrites dans la presse suggéraient que les victimes étaient systématiquement battues par plusieurs personnes avant d'avoir le coeur arraché. Jake passerait donc par la maison mitoyenne abandonnée pour grimper sur le toit et monter la garde, que ce soit à l'avant ou à l'arrière de la maison. Fanta, Moïra et Edward se tapirent à l'arrière de la maison. Par une petite fenêtre découpée sur la porte, Fanta aperçut un couloir donnant sur une porte fermée au fond, et à gauche une ouverture donnant sur une cuisine. Personne n'était en vue. Alors qu'elle commençait à examiner la serrure, Fanta réalisa qu'elle n'avait qu'à appuyer sur la poignée pour entrer, Shipley ayant semblait-il oublié de la fermer à clé. Fanta et Moïra commencèrent donc à s'avancer dans le couloir. Fanta commençait à distinguer la voix d'un homme, probablement Miles, et une voix de vieille femme qui venaient de la pièce derrière la porte du fond. Mais alors qu'elle tendait l'oreille, Moïra trébucha sur le tapis de l'entrée, et immédiatement la discussion entre les deux voix s'arrêta. Heureusement, les deux femmes réagirent rapidement : elles ouvrirent la porte sur leur gauche, qui révèla une réserve, se précipitèrent à l'intérieur, et refèrmèrent la porte derrière elles. Edward, qui de son côté était encore à l'extérieur, se saisit de la poignée de la porte d'entrée et tira doucement pour refermer celle-ci, comme si rien n'avait bougé, puis il se tapit sur le côté contre le mur de la maison. Les trois investigateurs entendirent Miles Shipley et la vieille femme arriver dans le couloir, cette dernière lui reprochant d'avoir encore oublié de fermer la porte. Miles s'excusa auprès de celle qu'il appelait sa mère d'une petite voix pathétique, tira le loquet de la porte, puis tous les deux repartirent dans la pièce du fond. Une fois le danger passé, Fanta Elle regarda autour d'elle. La réserve ne contenait pas grand chose hormi quelques provisions et une trappe, mais elles n'avaient pas le temps de s'y attarder pour le moment. Elle sortit de la cuisine pour soulever à nouveau le loquet et faire signe à Edward. Ce dernier choisit néanmoins de rester dehors pour le moment, afin de maintenir le contact avec Jake, perché sur le toit. Fanta retraversa le couloir pour se coller contre la porte à l'autre bout, restée entrouverte. Dans un salon, elle put distinguer Miles Shipley debout devant sa mère, la tête baissée et visiblement agité comme s'il était atteint de tocs qu'il ne pouvait contenir. La prostituée était à genoux derrière eux, ligotée et baillonnée. Fanta entendit Miles prononcer d'une voix soumise : "J'ai fait ce que vous m'avez dit, je vais me coucher maintenant", puis des bruits de pas montant à l'étage résonnèrent.

Alors l'expression de la vieille femme, qui n'avait déjà rien de rassurant changea. Elle leva les yeux au ciel dans une posture exaltée et la bouche entrouverte, elle se mit à saliver abondamment. Fanta ainsi que Moïra qui se tenait juste derrière elle, eurent la sensation que l'atmosphère de la maison était en train de changer, comme si une chaleur lourde et suintante s'installait. Et alors que l'humidité s'était faite pesante en l'espace de quelques minutes, Fanta vit la mère Miles Shipley qui semblait pourtant bien frêle, attraper d'une seule main la jeune femme terrorisée, et commencer à la trainer sans difficulté. Et alors qu'elle se dirigeait vers la porte, ses traits se déformèrent, sa peau se décolla petit à petit de son visage, de ses bras, de ses jambes... mais ce qui se révéla alors ne fut pas de la chair mais des écailles luisantes. Le corps de la vieille femme émettait des sons étranges, et soudain, une immense queue de lézard sortit de son dos. Cette terrifiante métamorphose ne paralysa fort heureusement pas Fanta, qui fit signe à Moïra de se replir dans la cuisine. Elles entendirent la porte s'ouvrir et la chose progresser dans le couloir d'un pas de plus en plus lourd. Les cris étouffés et les mouvements de la prostituée se débattant ne semblait avoir aucun effet. Fanta et Moïra échangèrent un regard entendu : leur instinct (et peut-être une reminiscence de la boutique Ju-ju) leur disait que la créature moitié humaine moitié reptile avait pour intention de conduire la jeune femme au sous-sol en passant par la trappe qu'elles avaient aperçue dans la réserve... Edward, qui était resté à l'extérieur et jetait régulièrement des coups d'oeil par la petit ouverture de la porte, aperçut lui aussi avec effroi la vieille femme en pleine mutation. Il se recula et fit signe à Jake de descendre du toit pour le rejoindre.

N'écoutant que son courage, Moïra bondit, enjambeant la prostituée à terre, et se jeta sur la créature au moment où celle-ci rentrait dans la réserve en face et se trouvait de dos. Son pistolet bien en main, elle tira une rafale de trois coups sur la "chose". Pris par surprise, cette dernière lâcha la jeune femme ligotée, qui alla se terrer dans un coin de la réserve. La créature fit volte-face brutalement, repoussant Moïra. Elle ne semblait pas beaucoup souffrir, mais un sang noir et visqueux s'écoulait tout de même des plaies que lui avaient causé les balles de Moïra. Elle révèla visage monstrueux qui n'était plus qu'à moitié celui d'une vieille femme, l'autre ayant évolué en une gueule de lézard. Ses yeux n'étaient plus que deux pupilles jaunes et reptiliennes fixant haineusement Moïra. Fanta, qui elle aussi était prête à agir, vit soudain une sorte de faisceau lumineux se former entre la créature et Moïra, et avant qu'elle ne put faire quoique ce soit, elle vit son amie se tourner et pointer son arme vers elle. Le lien avec la créature s'était évanoui, mais les yeux de Moïra n'était maintenant plus les mêmes... elle avait maintenant elle aussi les yeux jaunes... Mais alors qu'elle semblait s'apprêter à faire feu, Jake surgit soudain dans le couloir, courut vers Moïra, la ceintura et l'attira dans la cuisine, réussissant à la maîtriser. Pendant ce temps, Edward, sur le pas de la porte, avait lui aussi entrepris d'aider ses amies. La vue de l'hybride mi-homme mi-lezard lui avait instantanément évoqué les "créatures aux yeux jaunes" dont parlait les Passages choisis du Libre d'Eibon. Il décida donc d'essayer de lancer le sort de la "Roue de brûmes d'Eibon", qui était précisément supposé empêcher d'être vu par ces créatures. Avec une facilité qui le déconcerta lui-même, il se remémora les gestes et paroles nécessaires, et sentit que la magie fonctionnait. Un brouillard se matérialisa autour de lui. Ce qu'ignorait Edward, c'est que le cercle de brûmes n'était cependant pas assez étendu pour cacher ses amis....

Dans la cuisine, Moïra se débattait et finit par se libérer de Jake en lui assénant un léger coup de poing. La bête, elle, sauta directement sur Fanta, sa gueule béante dévoilant une rangée de dents acérés. Mais Fanta se tenait prête. Quand elle était adolescente au Kenya, elle avait eu affaire plus d'une fois à des adversaires plus imposants qu'elle, que ce soit lors de jeux de lutte contre de jeunes garçons de son village, ou lorsqu'il avait fallu faire face à des bêtes sauvages pendant la chasse. Alors que le lézard s'abattait sur elle, elle utilisa toute sa force, son poids et le mouvement pour la faire basculer plus loin, se libérant ainsi d'elle. Edward, qui distinguait la scène à travers le nuage qui l'entourait décida de profiter de ce moment pour frapper également. Il se concentra à nouveau, mais cette fois, il voulait tenter d'éxecuter un autre sort du Livre d'Eibon, celui qui permettait de fléttrir un membre. Il focalisa son offensive sur une des deux jambes de la créature, et sentit qu'il parvenait à lancer son attaque. Le lézard se redressa de toute sa hauteur et se figea un instant, comme s'il sentait venir quelque chose, puis de sa main, il sembla tracer un signe dans le vide... et rien ne se produisit. Edward était convaincu que ce geste lui avait permis d'annuler le sortilège. Pendant ce temps, Moïra, toujours possédée, leva à nouveau son revolver, cette fois pour tirer sur Jake, mais quand elle pressa la détente, l'arme s'enraya.

Alors que le combat faisait rage, les investigateurs aperçurent Miles Shipley qui, ayant probablement entendu le bruit, était redescendu et tenait un pistolet à la main. Il voulu toucher Fanta mais rata son tir. A l'inverse, Jake et Fanta firent mouche et logèret cinq balles dans le corps de  la bête, qui poussa un hurlement de rage déchainée. A nouveau, elle sauta dans la direction de Fanta, mais celle-ci réussit à éviter l'attaque en roulant sur le côté. Miles voulu tirer sur Fanta à nouveau, mais ce fut au tour de son arme s'enrayer. Pour une fois, la chance semblait être avec notre groupe d'investigateurs dans cet affrontement. Jake ne se fit pas prier et poursuivit ses tirs sur la créature qui tituba, puis s'étala de tout son long sur le sol. Instantanément, sa chair verdatre se mit à de décomposer, et bientôt elle fut intégralement dissoute, ne laissant qu'une large trace noirâtre sur le plancher du couloir. Aussitôt, Miles sembla perdre connaissance et tomba. Moïra elle aussi s'éffondra sur le sol. Fanta, Jake et Edward se rassemblèrent autour d'elle, inquiets. Au bout de quelques minutes cependant, elle rouvrit les yeux. Ses compagnons lui expliquèrent ce qu'il s'était passé. De son côté, elle n'avait aucun souvenir de la scène. Dès l'instant où la créature avait établi cette étrange connexion avec elle, elle avait été propulsée dans un monde où ne vivait que des lézards semblables à celui qu'ils venaient d'affronter. Elle se rappelait la vision d'une grande stèle gorgée de sang. Et alors qu'elle n'avait été possédée que quelques minutes, elle avait l'impression d'être restée prisonnière de ce monde longtemps, très longtemps...

Il était difficile de se ressaisir mais il le fallait. Jake et Fanta tirèrent Miles Shipley jusqu'au canapé du salon sur lequel ils l'attachèrent. Le peintre avait toujours les yeux ouverts, mais son regard était vide et il semblait incapable de se mouvoir, comme plongé dans un état végétatif. Autour de son cou, Jake trouva une clé dont il se saisit. Il remarqua aussi des marques de piqures le long des avant-bras du jeune homme... Comment en était-il arrivé là ? Quand il détourna son regard de l'artiste inanimé, il s'aperçut que Fanta lui désignait silencieusement un cadre posé sur une étagère. Celui-ci contenait une photo de Miles Shipley et sa mère, tous les deux souriants, l'air heureux...

De son côté, Edward était sorti dans la rue pour aller chercher leur voiture de location garée un peu plus loin. Il était accompagné de Moïra et de la jeune fille de joie, que Lady Macfayden essayait de rassurer. En chemin, ils trouvèrent un téléphone public et appelèrent l'inspecteur Barrington, lui demandant simplement de se rendre à Holbein Mews. Les investigateurs avaient pour projet de découvrir ce qui se trouvait sous la trappe de la réserve, et l'expérience de la boutique Ju-ju leur avait montré qu'il valait toujours mieux explorer les caves des personnes malveillantes en étant bien accompagné.

Fanta et Jake exploraient quant à eux le premier étage. Celui-ci se composait principalement de trois chambres. Quant ils poussèrent la porte des deux premières, ils les trouvèrent rangées mais poussièreuses. Elles semblaient inutilisées depuis longtemps. La porte de la troisième chambre était verrouillée, et ils y accédèrent grâce à la clé trouvée sur Miles Shipley. Ils n'y trouvèrent rien de particulier, si ce n'est un lot de seringues remplis d'un liquide vert inconnu, soit probablement ce qui était à l'origine des cicatrices de Shipley. Ils s'en emparèrent dans l'espoir de déterminer plus tard de quoi il s'agissait. C'est à ce moment que le professeur Finch arriva, leur annonça que l'inspecteur Barrington était en chemin. Fanta lui confia les seringues et Edward redescendit, préférant garder un oeil sur Miles Shipley, même si celui-ci était dans les vapes.

Le duo continua son exploration en tirant une trappe situé au plafond, qui libéra une échelle conduisant jusqu'à ce qui semblait être un grenier sous les combles. Ils atteignirent une pièce presque intégralement plongée dans l'obscurité. La vitre de l'unique fenêtre, déjà très petite, avait été recouverte de peinture noire, empêchait la lumière de la lune d'éclairer la pièce. En tatonnant, Jake trouva une lampe à pétrole posée à proximité de la trappe d'entrée, et l'alluma à l'aide de son briquet. L'atelier de Miles se dévoila alors à eux. De nombreuses toiles étaient entassées au quatre coins de la pièce, et quelques unes étaient posées en évidence sur des chevalets. Ils distinguèrent une scène d'orgie cannibale, un paysage de ruines nocturnes dans lequels se dessinaient d'étranges formes sombres et imposantes, la descente d'une masse difforme qui glissait depuis le ciel étoilé jusqu'à la Terre le long d'un étrange monolithe noir. Le style était celui caractéristique de Shipley, à la fois horrifique, glauque et d'une exécution saisissante de réalité.

Mais ce fut un tableau en particulier qui retint leur attention : il représentait en premier plan une cérémonie de nuit dans la savage africaine, les membres d'une tribu dansant autour d'un feu au pied d'une montagne. Fanta et Jake écarquillèrent les yeux à la vue de la coiffe des personnes représentées : aucun doute, ils reconnaissaient les appendices rouges que portaient les guerriers de la Langue Sanglante. Au second plan, sur la montagne, se dressait une titanesque créature, dont la tête n'était rien d'autre qu'un immense appendice rouge... La divinité de la Langue Sanglante en personne ...? Nyarlathotep ?

Mais l'atelier de Miles Shipley leur réservait une autre surprise. Au fond du grenier se trouvait en effet une armoire fermée à l'aide d'un épais cadenas, qui ne sut pas résister à un expert comme Jake Mackalister.

L'armoire s'avéra avoir pour une unique contenu un autre tableau. Celui-ci représentait un petit îlot  au milieu d'un marécage, sur lequel trônait un autel de pierre. Jake, qui avait ouvert la porte de l'armoire et fixait le tableau, sentit que celui-ci exerçait une fascination sur lui, comme ci une main invisible essayait de l'attirer. En y regardant de plus près, il s'aperçut que le paysage du tableau BOUGEAIT. Du vent agitait les quelques brins d'herbe et roseaux émergeant de la boue. Jake du se faire violence pour reculer et refermer rapidement la porte sur le tableau. Lui et Fanta appelèrent Moïra et Edward pour leur faire part de leur découverte. Moïra pressa ses compagnons de se débarrasser de cette peinture. À entendre la description de celui-ci, elle était persuadée qu'il s'agit du monde des lézards dans lequel elle avait était projetée. Ils entendirent alors la voix de l'inspecteur Barrington qui venait d'arriver au rez-de-chaussée. Jake déclara alors : "Attendons au moins de lui montrer le tableau, sinon il ne voudra jamais nous croire". Les trois autres acquiescèrent, le policier était tellement pragmatique et arrogant qu'il n'était pas près d'envisager une hypothèse surnaturelle sans preuve concrète.

Comme prévu, Barrington toisa le groupe d'un air suspicieux. Malheureusement, la prostituée, encore en état de choc, s'avéra incapable de lui raconter quoique ce soit, malgré les paroles rassurantes de Moïra. L'inspecteur, dubitatif, se mit à arpenter la maison. Il jeta un coup d'œil à Miles Shipley, s'interrogeant sans doute sur son état. Alors que Barrington était dans la cuisine, Edward décida de tenter d'injecter une infime partie du contenu d'une seringue verte au peintre. Il espérait que cela puisse lui faire reprendre conscience afin que l'inspecteur l'interroge. Hélas, l'opération n'eut pas du tout l'effet escompté. Miles Shipley fut tout à coup secoué de spasmes violents, puis en quelques secondes il expira. Edward était décontenancé par ce résultat imprévu. Il jeta les seringues par la fenêtre tout en faignant d'appeler au secours. Barrington revint dans la pièce, visiblement énervé, demandant comment le peintre avait pu mourrir durant les cinq minutes où il s'était absenté. Il jeta un rapide coup d'œil au corps, puis il monta les escaliers pour poursuivre son examen à l'étage. Le groupe insista pour qu'il vienne dans l'atelier de Miles Shipley au grenier, et lui pointa du doigt l'armoire. Levant les yeux au ciel, et passant sur la serrure manifestement loin d'être intacte, l'inspecteur consentit à ouvrir la porte...

Dès qu'il vit le tableau, il se figea instantanément. Tout se passa trop vite pour qu'aucun des investigateurs puissent faire quoique ce soit. En quelques secondes, Barrington perdit connaissance et s'effondra sur le plancher. Alors que le groupe se précipitait à son aide, ils virent petit à petit la silhouette de l'inspecteur apparaître DANS le tableau. Barrington regarda tout autour lui et ne se laissant pas abattre, il sortit son arme. Mais bientôt, un lézard, deux lézards, trois lézards, puis des dizaines de lézards à taille humaine l'encerclèrent. Les appels des investigateurs n'y firent rien, les créatures se jetèrent sur lui, portèrent son corps jusque sur la stèle au centre, puis le dévorèrent jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des traînées de sangs s'ecoulant le long de l'autel... Et dans l'atelier, le corps de Barrington cessa de respirer.

Fanta, Moïra, Jake et Edward se regardèrent, consternés. Même si l'inspecteur n'était pas la personne la plus attachante qu'ils avaient rencontrée, il s'était quand même montré enclun à les aider, à sa façon. Et en mettant de côté le reste, aucun homme ne méritait une fin aussi atroce... Mais s'ils étaient bouleversés par la mort tragique de l'inspecteur, il leur fallait agir... et se protéger.

À contrecœur, ils rouèrent le cadavre de l'inspecteur de coups de pieds. Il traînèrent le corps de Miles Shipley jusqu'à l'atelier et l'allongèrent près de celui de Barrington. Puis Moïra alla chercher un large couteau dans la cuisine, et le planta dans le cœur de l'officier, avant de le déposer dans la main de Miles. C'était atroce, mais avec un peu de chance, cela eloignerait les soupçons, faisant croire que Miles était le fameux tueur en série, et que Barrington était mort en héro en le démasquant... Jake alla ensuite chercher un drap dans une des chambres, enveloppa le tableau de l'armoire, et le transporta jusqu'à la baignoire de la salle de bain. Ils ajoutèrent quelques livres pour faire combustile et de l'huile d'une lampe à pétrole du grenier, puis ils mirent le feu. Lorsque le tableau commença à se consumer, les flammes devinrent vertes, et un hurlement déchira le silence de la maison. Au lieu de cendres, la peinture se décomposa en un liquide d'un noir verdatre. A cet instant, les quatre compagnons avaient la conviction que Londres se porterait mieux sans ce chef d'oeuvre maudit...

Des morts sur la conscience, ils se retrouvaient seuls pour explorer le sous-sol. C'est avec appréhension qu'ils ouvrirent donc la trappe et descendirent. Celle-ci donnait sur une cave au sos en terre battue, pratiquement vide. Mais en y regardant de plus près et en tatonnant sur le mur, Jake identifia une porte dérobée dans la paroi. Dès qu'ils l'eurent ouvertes, ils furent tous saisis par une épouvantable odeur de pourriture et de chair en décomposition. Ils se trouvaient dans une petite pièce sans-lumière, recouverte de symboles inconnus sur les murs. Des étagères avaient été disposées un peu partout. Sur certaines étaient alignés des livres, tous rédigés dans les mêmes caractères incompréhensibles. Au cas où, Edward en choisit deux au hasard et les mit dans son sac. Sur d'autres étagères étaient posés des bocaux et fioles de laboratoire, remplis de substances indéterminées de couleurs différentes. Par curiosité, Moïra attrapa l'un des contenants et le laissa tomber sur le sol pour observer la réaction. Le liquide en question semblait être corrosif. Au fond de la pièce se trouvait une large auge recouverte d'une dalle, dont il était clair que provenait les relans insoutenables de mort. Fanta alla chercher une pelle qui se trouvait dans la cave et souleva le couvercle. Hormi Moïra qui avait détourné le regard, tous furent alors saisis d'effroi. Comme présenti, l'auge contenait des têtes de femme décomposés...

Ils ne s'attardèrent pas plus longtemps dans cette maison, probablement heureuse jadis, qu'un mal monstrueux avait fini par emporter... Ils conduisirent la prostituée chez elle, et lui laissèrent une belle somme d'argent en lui expliquant qu'il valait mieux qu'elle ne parle à personne de ce qu'elle avait vu ce soir, puis ils reprirent le chemin du Red Horse.

Au bout du compte, Miles Shipley n'était probablement pas le fameux tueur en série... Que lui était-il arrivé ? Avait-il vendu son âme contre le talent ? Y avait-il un rapport avec la Fondation Penhew et le Pharaon noir, étaient-ils ceux qui avait mis l'artiste en relation avec ces effroyables créatures ? Le jour qui se levait dissipait cette nuit sordide, mais pas les interrogations qui occupaient leurs esprits...